Trésor d'école

Publié le par Jacotte

« L’école nous apprend à accepter d’être dominés » (Jean-Jacques Lebel, Télérama n° 3667 du 22 avril 2020). Peut-être. Je me dis souvent qu’elle s’attache à former des consommateurs plus que des citoyens. C’est sans doute un peu facile, et ça fait fi du libre arbitre de nombre d’enseignants dont le projet personnel est toujours de former des citoyens.

Moi, elle m’a sauvée, l’école. Ce n’est pas exagéré. Elle a été le lieu prévisible, fonctionnant avec des règles fiables, où j’obtenais le résultat de mes efforts, où l’incohérence de ma mère ne m’atteignait pas, six heures par jour, quatre jours et demi par semaine. Alors j’ai adoré apprendre à lire avec Poucet (j’entends encore très clairement les « et » descendants de ma camarade Odile M. qui semblaient bizarrement marquer la fin de la phrase, je revois la page du son « gn » que ma petite sœur de deux ans avait rayée au stylo et qui m’a valu de trembler qu’on la découvre jusqu’à la fin de l’année), à écrire au porte-plume puis au Reynolds bleu, adoré les cahiers neufs, le son des anneaux de classeur, les taille-crayons, les dictées, le calcul mental sur l’ardoise, l’odeur de craie et de poussière du chiffon, le journal météo qu’on écrivait sur des bouts de papier scotchés sur un grand poster, le carton de « marquettes » que l’instit’ descendait parfois d’un haut placard, quand il restait un quart d’heure avant la sortie, et sur lesquelles nous ébauchions quelques points de broderie multicolores. Je ne peux pas penser à ces instants où tout à la fois j’apprenais, créais et respirais sans une immense gratitude pour mesdames Claude, Vanony, Jeandel, Gégout, Sonrel.

Je sais que l’école n’atteint pas ce but avec tous, tant s’en faut, je sais qu’elle broie aussi. Mais moi elle m’a sauvée.

(23 avril 2020)

Publié dans NEZ AU VENT

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